Révolution

La bière et la révolution ( Par Philippe Voluer )

A la veille de la Révolution, la bière est la boisson la plus consommée de la moitié nord de la France. Mais cette consommation reste relativement limitée à cause de son prix.

La consommation pouvait s’effectuer à la brasserie elle-même, dans un débit annexé, comme dans les microbrasseries d’aujourd’hui, ou dans les tavernes et auberges qui achetaient leur bière dans les brasseries. Mais la fabrication domestique semble avoir été très importante. Les chiffres officiels font état d’une consommation de 130 litres par an et par habitant à Lille en 1783, ce qui est loin des 350 litres consommés cent ans plus tard. A cette époque, la bière n’était pas seulement consommée comme simple boisson. C’était également un aliment liquide, une boisson saine et hygiénique, grâce à l’ébullition et aux vertus antiseptiques du houblon. Faiblement alcoolisée, elle favorisait également la digestion grâce à la levure. On était donc en présence d’un véritable médicament, et elle était systématiquement conseillée en période d’épidémie. Les brasseurs utilisaient d’ailleurs des herbes et épices plus ou moins exotiques, dont les vertus médicinales étaient connues!; on trouvait donc couramment du houblon, du nénuphar, de la coriandre, de la cannelle, du sassafras, de la réglisse, de l’orange amère, de la cardamome…

 

Le prix élevé de la bière venait de l’utilisation importante de céréales!(environ 60 litres par hectolitre) dont le cours était très variable. L’utilisation d’orgeet de froment pouvait même être interdite en cas de disette, ce qui était relativement courant et dura jusqu’en 1816. D’autre part, la bière subissait une imposition très élevée de la part des contrôleurs locaux et des Fermiers Généraux, qui percevaient l’ «!aide!» destinée au Trésor royal. Ces Aides disparurent, comme les autres taxes, en 1791, mais elles furent remplacées par un nouvel impôt en 1804.

 

On pourrait croire que cette suppression d’impôt allait développer l’activité brassicole. Quelques progrès furent bien sûr apportés à l’industrie de la Brasserie sous la Révolution!: achat du matériel de brassage des abbayes, hausse de la consommation grâce aux fêtes révolutionnaires, aux passages de troupes… Mais les guerres, les troubles politiques, les crises économiques, les difficultés d’approvisionnement limitèrent également la consommation!: en 1804, elle n’était plus que de 100 litres par an et par habitant. Le métier de brasseur était également un métier difficile, qui nécessitait avant 1789 un apprentissage de cinq ans puis un compagnonnage de trois ans. L’investissement était aussi très important, alors que le cuivre était très rare. La profession progressa donc très peu sous la Révolution ( 2% de maîtres-brasseurs en plus entre 1789 et 1801 dans le département du Nord ).

 

Il ne faut pas croire pour autant que la Brasserie fut plus en crise sous la Révolution que les autres activités économiques. La bière fut la boisson révolutionnaire par excellence. Fabriquée localement, concurrençant largement le vin (dont le prix était toujours deux fois plus élevé), elle fut de toutes les nombreuses fêtes révolutionnaires et accompagna les Sans-Culottes en marche pour la défense de la patrie. Elle était également la seule boisson populaire et démocratique, et restait à la portée de toutes les bourses, son prix étant toujours au moins deux fois moins élevé que celui du vin. Le Sans-Culotte, personnage central des grandes villes, était le type même du Révolutionnaire buveur de bière, et un véritable champion de l’égalitarisme, dans son comportement que dans son costume ou le choix de sa boisson quotidienne.

Si la masse des Sans-Culottes était surtout importante en ville, ils n’étaient que rarement commandés par des prolétaires. Leurs chefs étaient avant tout des petits patrons ou de petits bourgeois qui dirigeaient la politique locale. C’est donc parmi eux que furent choisis les nouveaux responsables des communes!: on vit souvent des brasseurs devenir maires et officiers de la garde nationale, et accéder pour la première fois au pouvoir local. La Révolution marque donc le point de départ de l’essor de la bière en France et du rôle politique croissant du brasseur.

 

Philippe VOLUER.

© Contribution de M. Philippe Voluer Brasserie artisanale la Choulette à Hordain, France Historien de la bière www.Lachoulette.com
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